Par Frédéric Zabalza – Publié le 31/05/2024 à 7h00 – Sud Ouest
Jeudi 6 juin, l’association Île de Ré Patrimoine révélera ses découvertes sur la bataille du pont du Feneau. Entre 3 000 et 3 500 soldats du duc de Buckingham y ont été massacrés, marquant la fin du siège de l’île (1625-1627).
Le tableau de Laurent de la Hyre, « La défaite des Anglais en l’île de Ré le 8 novembre 1627 », où l’on aperçoit en arrière-plan, à gauche, le domaine de la Davière, qui existe encore. © Crédit photo : Musée de l’Armée Paris
Le Grand Siège de La Rochelle (1627-1628) aurait-il connu la même fin si celui de l’île de Ré avait réussi ? Avant d’apporter une réponse catégorique, les historiens vont déjà pouvoir se pencher sur les événements qui se sont déroulés entre 1625 et 1627.
Jeudi 6 juin, l’association Île de Ré Patrimoine présentera plusieurs découvertes éclairant d’un jour nouveau les connaissances sur les batailles menées entre catholiques et protestants dans l’île. À commencer par la localisation de la bataille du pont du Feneau. Au bout de quatre années de recherches, un groupe de passionnés d’histoire et du patrimoine local est parvenu à reconstituer le « puzzle » de cet épisode méconnu, qui reste pourtant une des victoires françaises les plus éclatantes contre l’armée du royaume d’Angleterre.
« C’est une tragédie shakespearienne qui s’est jouée ici »
Les chroniqueurs de l’époque ont relaté le débarquement, en 1627, de plus de 7 000 hommes envoyés par le roi d’Angleterre Charles Ier, sur une centaine de navires, pour achever l’invasion de l’île entreprise par Soubise et prêter main-forte aux huguenots [protestants, NDLR] rochelais. Puis l’échec des troupes de Georges Villiers, le célèbre duc de Buckingham, dont Alexandre Dumas a fait l’un des personnages de ses « Trois Mousquetaires », devant la citadelle de Saint-Martin assiégée, commandée par le comte de Toiras, suivi de leur repli vers le nord de l’île, pourchassées par le maréchal Schomberg. Et enfin, le carnage final au pont du Feneau, où entre 3 000 à 3 500 soldats anglais et irlandais, mais aussi des huguenots français, ont été massacrés.
Portait de Georges Villiers (1592-1628), duc de Buckingham,
par Rubens (vers 1625). WIKIPEDIA COMMONS
« Tragédie shakespearienne »
« C’est une tragédie shakespearienne qui s’est jouée ici », explique Indalecio Alvarez, journaliste à l’AFP, co-fondateur et président de
l’association Île de Ré Patrimoine, un des enquêteurs qui ont localisé le site de la bataille. Car, si les cartes actuelles indiquent un pont du Feneau à Loix, celui-ci n’a rien de l’ouvrage en bois construit par les Anglais et détruit il y a longtemps déjà.
« Les officiers qui refusaient de se rendre étaient achevés sur place sous les yeux des camarades »
Pour retrouver sa trace, il valait mieux s’inspirer de la description laissée par Jacques Isnard. L’auteur au XVIIe siècle du « Siège du fort de Saint-Martin et fuite des Anglais de l’île de Ré » (deuxième édition de 1902, Hachette/BNF) indique que, depuis l’ancien domaine de la Davière, entre « l’île de Ré et l’île de Loix », il faut marcher le long d’une « chaussée bordée par un fossé plein d’eau […] et d’immenses salines, qui aboutit à trois ou quatre cents pas plus loin à un petit pont de bois, […] tourne[r] à droite pendant quatre-vingts pas environ, puis à gauche pendant près de deux cents pas et […] fai[re] un coude de cent vingt pas pouvant donner accès à six cavaliers de front ».
Indalecio Alvarez, journaliste à l’AFP et président de l’association Île de Ré Patrimoine, le 17 mai à La Rochelle. (Frédéric Zabalza/SO)
Objectif : fouiller les marais
Aujourd’hui, l’itinéraire conduit dans les marais salants, entre La Couarde-sur-Mer et le Fier d’Ars, la baie située au nord-ouest de l’île. La
« chaussée » a été remplacée par une longue piste cyclable très fréquentée à la saison estivale. Rien à voir avec le bain de sang du 8 novembre 1627, au cours duquel, explique Indalecio Alvarez, « les officiers qui refusaient de se rendre étaient achevés sur place sous les yeux des camarades qui avaient réussi à passer le pont et regardaient impuissants de l’autre côté du chenal ». S’il ne reste aucune trace des affrontements, une bâtisse voisine subsiste, représentée dans un tableau de Laurent de la Hyre, « La défaite des Anglais en l’île de Ré le 8 novembre 1627 », acquis chez Sotheby’s en 2009 et restauré par le musée de l’Armée, aux Invalides. Il s’agit bien de la « maison-forte protestante » de la Davière, mentionnée par Edward Lord Herbert, historien britannique contemporain de la bataille du Feneau, dans son ouvrage « L’expédition à l’Isle de Rhé ». L’association rêve d’en faire le coeur d’un projet « d’arc mémoriel des guerres de Religion » dans l’île de Ré, inspiré des musées et des sites d’autres grandes batailles historiques (Alésia, Azincourt, Waterloo, le Mémorial de Caen).
Une plaque, en l’église d’Ars, rappelle le souvenir de trois capitaines « de l’armée de Toiras
tués à la bataille d’Ars gagnée contre Soubise en 1625 », un des premiers événements du
siège de l’île de Ré. (Frédéric Zabalza/SO)
« Cela permettrait de développer un nouveau type de tourisme, pérenne et respectueux de l’environnement et du patrimoine », espère Indalecio Alvarez, qui a présenté le projet de l’association à Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine, en novembre dernier. Celui-ci confirme son « appétence ». « L’expertise technique et scientifique du service patrimoine de la Région, dirigée par Éric Cron, est au service de cette association, indique Alain Rousset. La Région a apporté une première aide de 6 000 euros pour la première phase du projet. Une seconde phase, plus importante, sera financée l’année prochaine, avec notamment l’objectif de fouiller les marais pour retrouver l’armée anglaise décimée par cette bataille. »